Le "travail réel" sera-t-il demain le fruit d’une auto prescription algorithmique ?
- David Gateau
- 7 mars
- 3 min de lecture
Ma lecture de RE-Humanize de Phanish Puranam

L'auteur : Phanish Puranam est titulaire de la chaire Roland Berger, en stratégie et design Organisationnel à l'INSEAD. Il vient de publier “RE-Humanize / How to build human-centric organizations in the age of algorithms?”.
Plusieurs lectures peuvent être faite de cet ouvrage. Voici ce que cela m’a inspiré :
À l’aune d’un tsunami d’IA et d’automatisation qui va profondément modifier les modèles organisationnels et le paysage du travail, Phanish Puranam nous invite à repenser la place de l’humain dans les organisations modernes. Il nous met en garde contre le paradoxe de l’ère des algorithmes, où les technologies peuvent à la fois améliorer l’efficacité tout en déshumanisant les relations de travail. Son message principal est clair : pour qu’une organisation soit véritablement performante à l’ère numérique, elle doit concilier productivité et bien-être humain, conjuguer la dualité « Goal Centric » et « Human centric ».
Puranam explique que les organisations ne doivent pas simplement être centrées sur les résultats, mais aussi sur les besoins humains fondamentaux comme l’autonomie, la connexion sociale et le sens du travail, définir un OCP (« Organizational Context Preferences ») favorable. Il propose de diviser intelligemment le travail entre humains et machines, en déléguant aux algorithmes les tâches répétitives et en préservant aux humains les rôles qui nécessitent créativité, jugement et interaction humaine.
L’auteur va plus loin en suggérant de démocratiser la conception organisationnelle en utilisant les outils numériques pour permettre à tous les collaborateurs de participer à la création des processus et à la prise de décision. Cette approche permettrait de renforcer l’inclusivité et d’adapter les structures aux réalités du travail moderne, tout en favorisant un climat de confiance et de collaboration.
Enfin, Puranam insiste sur l’importance d’une vision partagée et d’une intention claire des dirigeants pour orienter cette transformation digitale. Il affirme que l’humain doit être au centre des priorités, même dans un monde de plus en plus numérisé, pour préserver l’engagement et la performance à long terme. Car finalement, l’intégration de l’intelligence artificielle dans les organisations dépendra in fine de “ce que nous choisirons de faire”
Toutefois, derrière ces alertes et recommandations, se cache un optimisme et une confiance auxquels j’ai du mal à adhérer :
Cet optimisme repose sur l’à-venir d’un harmonieux équilibre entre l'humain et la machine, un équilibre où la technologie serait au service de l’être humain plutôt que de le remplacer faisant appel à une forme de sagesse pour dompter ces défis qui, à l’instar des précédentes révolutions technologiques, se révélera ou non, à l’épreuve du feu. Cette sagesse, aussi souhaitée soit-elle, n’a encore jamais véritablement existé dans l’histoire des évolutions technologiques et organisationnelles, ce qui rend ce pari bien risqué.
Puranan rapporte cette anecdote en début de livre : « Lorsque j'ai dit à mes collègues que mon nouveau livre portait sur le fait de maintenir les organisations centrées sur l'humain à l'ère des algorithmes, certains ont réagi avec un sourire ironique : "Elles ne sont déjà pas très centrées sur l'humain !" ». Comment, effectivement Re-Humaniser les organisations avec de nouvelles technologies numériques, quand on constate aujourd’hui les difficultés que les organisations ont à travailler pour et par l’humain ? Soigner le mal par le mal sera-t-il vertueux cette fois ?
Puraman fait des propositions plus techniques : la décentralisation et la démocratisation du design organisationnel, suggérant que les outils numériques pourraient permettre de repenser la gouvernance des organisations en permettant à chacun, quel que soit son poste, de participer activement à la définition des processus et à la prise de décision. Cette idée de démocratisation organisationnelle semble séduisante, mais elle se heurtera à une réalité plus pragmatique. Les algorithmes, qui sont des instruments de standardisation et de contrôle, auront plutôt paradoxalement des finalités renforçant l’uniformité et la hiérarchie. De plus, les grandes organisations, souvent poussées par des impératifs de rentabilité et de contrôle, seront moins enclines à laisser l’hétérogénéité humaine s’installer face à la puissance d’une data qui uniformise, centralise et standardise.
L’analyse et les alertes de Puraman sont justes, les remèdes optimistes. Le danger, dans un avenir proche, c’est que demain le travail réel ne se réduise à une auto prescription algorithmique de son propre travail ! renvoyant à une dynamique où l’individu, dans son environnement de travail, devienne à la fois acteur et exécutant d’un script ou d’une série d’instructions qu’il irait chercher auprès d’une IA, entrainée pour pointer et résoudre ses difficultés.
Nos organisations ne seront plus que de gigantesques mécanismes à produire des biens ou services dont les différents paramètres seront ajustés en continu par des collaborateurs isolés, pris dans une boucle de déshumanisation et de désengagement au service d'une finalité entreprise purement business.
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