L’organocène : « Là où il y de l’Homme, il y a de l’Hommerie » - [disait une grand-mère Québécoise]
- David Gateau
- 23 mars
- 3 min de lecture

Si les débats scientifiques ont été animés de savoir s’il fallait décider d’un nouveau nom (Anthropocène pour succéder à l’Holocène) pour qualifier l’empreinte géologique laissé par les activités humaines, les auteurs nous invitent à considérer, d’ors et déjà un nouvel âge de l’humanité : « l’Organocène ». Un âge où ce ne sont plus les humains qui façonnent le monde, mais les systèmes et organisations qu’ils ont créés — et qui, peu à peu, prennent le
contrôle de l’Humanité. Les auteurs partent d’un constat simple : « l’homme moderne est un homme qui vit dans les organisations ». Il devient alors plus juste de parler non pas simplement d’une société, mais d’une société d’organisations.
De fait, notre société n’a de cesse de créer une complexité organisationnelle : les structures publiques créent sans cesse de nouvelles organisations qu’il faut coordonner par d’autres, dont il faut assurer le contrôle par d’autres … dans le privé, les « matrices » s’entrelacent dans des logiques de plus en plus opaques et tentaculaires.

Résultat ? Ce maillage organisationnel, tissé très fin de multiples interrelations, devient de plus en plus rigide, difficile à bouger — et ce, au moment même où notre monde traverse des transformations sociétales et technologiques d’une accélération et d’une ampleur sans précédent, qui impose des transformations en profondeur.
Constat posé, l’ambition des 2 auteurs est de « Former une théorie du changement institutionnel » par une approche de la sociologie organisationnelle. Et c’est la grande vertu et originalité de ce livre : proposer une grille de lecture renouvelée de l’action collective dans les organisations par une mise en perspective et le lien entre différentes « structures » qui « encastrent » l’organisation :
Une structure « institutionnelle » : les normes, les paradigmes de l’institution, les représentations de son action au sein de son environnement économique, politique, environnemental, sociétal, …
Une structure « cognitive » : les croyances en place chez les différents acteurs
Une structure relationnelle : les pouvoirs qui fixent et maintiennent la stabilité du système dans l’organisation
Pour les auteurs, les changements ne peuvent pas simplement être portés par un discours incantatoire sur les difficultés rencontrées, par des leaders empathiques et bienveillants, aux convictions profondes et humanistes et qui savent fédérer autour d’une idée. Ces changements sont induits par des acteurs qui savent reconfigurer la « matrice de complexité », jouer des positions et des pouvoirs en place et acquis dans la redistribution des rôles et ressources au sein du système :
Ils ont la capacité d’avoir une réflexion sur le système dans sa globalité parce que souvent placés en périphérie et sur les frontières du système. Cette place leur octroie une vue à 360° mais aussi des marges de manœuvre différentes
« La réflexivité et l’engagement dans l’action entrepreneuriale (du changement) sont le produit, progressif, d’acteurs dont les dispositions et/ou positions et/ou situations organisées ne sont plus ajustées aux structures cognitives, relationnelles et institutionnelles jusqu’alors dominantes dans un espace social (une organisation ou un champ) »
Des capacités « sociales » à modifier les relations de pouvoir en place (en ayant une « lecture » de ce qui se joue entre les acteurs) pour reconfigurer la façon dont le système est maintenu par les différents acteurs soumis à des structures institutionnelles, cognitives et relationnelles sclérosantes, limitantes, …bref empêchant tout changement malgré des constats de dysfonctionnements manifestes.
« Le changement institutionnel est, lui le terme d’un processus de transformation de ces structures, qui se désarticulent en des points toujours nombreux (pour des acteurs toujours plus nombreux) jusqu’à s »’écrouler (ou se métamorphoser), pour progressivement se stabiliser et s’ajuster en nouvelles structures »
Cette grille de lecture n’est pas méthodologique mais paradigmatique car comme le souligne les auteurs dans leur conclusion, « cette théorie a l’intérêt de ne pas choisir a priori entre 2 façons […] de concevoir la culture : a – comme un déterminant puissant de l’action humaine, c’est-à-dire comme un programme b- comme une boite à outils - ‘La culture n’étant pas un ensemble d’idées imposées mais un ensemble d’idées et de symboles à disposition pour l’usage’ [Schudson] ».
L’art de « l’entrepreneur social », est bien de réorganiser les relations de pouvoir par une distribution parfois différente des ressources pour produire des changements dans ces organisations.
Et c’est là, tout le travail du design organisationnel que nous prônons 😊, c’est-à-dire qu’un changement organisationnel, c’est moins s’occuper de la structure fonctionnelle que des structures relationnelles, cognitives et institutionnelles, dans des « réarrangements relationnels » qui produit du changement.
Comentarios