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« Donner, c’est accepter de perdre quelque chose : Pour être vraiment « Human Centric », il faut accepter de sacrifier du « Goal Centric »

Dernière mise à jour : 31 mars



Human centric Vs Goal Centric
Human centric Vs Goal Centric

« Remettre l’humain au cœur » est le mantra que chacun reprend, main sur le cœur pour s’assurer de l’adhésion d’un corps social qui navigue à vue et perd peu à peu pied dans la spirale infernale des transformations. Oui mais une entreprise, à mission ou non, se doit sans cesse d’améliorer sa performance pour a minima, assurer sa pérennité et au mieux défendre ou développer des positions qui lui donneront des marges de manœuvre plus confortables. Ce qui dans la littérature managériale se résume par la dichotomie d’être en même temps « Goal Centric » et « Human centric », qui est un chemin de crête où garder l’équilibre, aujourd’hui et demain est un exercice périlleux.

Alex Mucchielli rapporte dans son livre « Approche systémique dans les organisations » [2004], une situation savoureuse d’un fiasco lors d’un changement organisationnel, presque mineur :

Des commerciaux d’une boite de logiciel visitent leurs clients (Prospection et suivi) pour développer leurs offres. A cette occasion, certaines questions techniques sont remontées aux commerciaux, qui faute d’une expertise suffisante ne peuvent répondre directement. Ils doivent alors se diriger vers l’équipe des programmeurs, qui saturent, perturbés dans leur travail par ces appels incessants. Il est donc décidé de mette un service de boite aux lettres informatique dans laquelle les commerciaux déposeront leurs questions auxquelles les programmeurs répondront à des moments qu’ils maitrisent et qui ne les perturbent donc pas.

Voici schématiquement comment avait été imaginé le processus :


Système relationnel Final
Système relationnel Final

Ce fût un fiasco et le dispositif fût abandonné, et par les programmeurs qui n’ouvraient pas la boite aux lettres, et par les commerciaux qui ne prirent pas le pli d’envoyer leur demande vers la boite aux lettres.


Comment expliquer ce fiasco ?

Pour comprendre ce que communément et peut-être faussement on appelle résistance aux changements, il aurait fallu, en amont considérer comment le « système » fonctionnait avant l’installation de la boite aux lettres, c’est-à-dire quelle était la dynamique de coopération (=sociologie de l’organisation). Elle est représentée ci-dessous :


Système relationnel initial
Système relationnel initial

Le schéma, basé sur l’observation, explicite la chaine d’interactions qui avaient lieu pour le traitement des demandes des commerciaux : le contact téléphonique vers les programmeurs obligeait les commerciaux à faire « déférence » aux programmeurs pour obtenir une réponse de ceux-ci, tout en tirant une valorisation finale de leur savoir-faire commercial auprès de leur client (celui qui sait parler pour obtenir ce qu’il veut).

 

La mise en parallèle des 2 systèmes relationnels montrent comme la nouvelle configuration du système, neutralise les relations directes dans lesquelles les reconnaissances des uns envers les autres se jouaient. D’ailleurs mis à part, la direction, personne n’avait intérêt à voir se transformer les relations de travail :

·       Les programmeurs, à ouvrir la boite aux lettres, auraient été tenus de répondre aux demandes, alors qu’auparavant ils pouvaient facilement éviter ces demandes

·       La relation Commercial / Programmeur se renversait, mettant les programmeurs au service des commerciaux, sans déférence, ni reconnaissance

·       Le contrôle et le listage des demandes, ainsi que le contrôle des réponses aurait permis la possible mise en évidence d’erreurs de programmation, qui réduiraient les zones d’incertitudes vis-à-vis des clients sur certains dysfonctionnements

·       Les commerciaux, ne pouvant plus apporter de réponses immédiates aux clients, ne pouvait plus se valoriser auprès des clients dans leur fonction de liant avec l’entreprise.

·       Les clients, quant à eux, aux dires des commerciaux, n’étaient plus intéressés de recevoir une réponse asynchrone sans pouvoir la discuter avec un spécialiste

Au fond nous dit Alex Mucchieli, ce nouveau système remet en cause la reconnaissance professionnelles des protagonistes, leur valeur intrinsèque dans le système : Les commerciaux ne sont plus valorisés par les clients, les programmeurs n’ont plus de relation avec les commerciaux et perdent des marges de manœuvre, ce qu’ils ne peuvent accepter.



Quelles leçons pouvons-nous tirer de cet exemple ?


D’innombrables leçons (par la grille de lectures de l’analyse systémique stratégique notamment) mais concentrons-nous sur une qui figurait dans mon avant-propos : Être « Human centric », c’est d’abord, et avant toute démarche instrumentale sur l’empathie, la bienveillance, l’engagement, le bien-être au travail, l’épanouissement, le leadership … pouvoir admettre, respecter, préserver, considérer ces liens entre humains qui sont l’essence même d’une organisation. Certes, il y a des jeux, des comportements qui sont ou paraissent parfois à contre-sens du « Goal Centric », mais ces jeux, ces comportements sont les fondements de la création de liens entre les personnes. A force de vouloir les éradiquer sans les considérer, nous produisons des mécanos sans saveur.

 

Marcel Mauss dans son « essai sur le don » (1925) avait mis à jour comment se pérennisait/s’entretenait la cohésion sociale de sociétés primitives au travers des « dons » / cadeaux entre individus. Si on n’échange plus des poteries, nous donnons aujourd’hui du temps, de l’expertise, des conseils mais aussi de la reconnaissance, de la déférence, des félicitations, du temps, … :

  • Donner → Celui qui donne crée un lien avec celui qui reçoit.« le commercial fait déférence au programmeur »

  • Recevoir → Accepter le don, c'est reconnaître cette relation et l'obligation implicite de rendre.« Le programmeur reçoit le don »

  • Rendre → Celui qui a reçu doit, à son tour, faire un don en retour, souvent d’une valeur équivalente ou supérieure.« et donne de son temps pour répondre, même s’il est occupé »



Nos sociétés ont bien évolué depuis les sociétés primitives, qui sont venus brouillés nos rapports entre personnes (pouvoir, ambition, argent, …), mais l’essence même des groupes humains, d’une organisation, d’un « Human centric », est bien cette capacité à tisser des liens dans des trocs, échanges ou dons dans un symbolisme et une reconnaissance mutuelle des individus dans le système.

 

Le futur des organisations « Human centric » passe, à mon sens dans cette capacité à respecter ce besoin impérieux de la nature humaine à créer du lien entre les personnes.

Comme le rappelle Norbert Alter , grand féru de Mauss, le don exige de la part du donateur une part de sacrifice pour que celui-ci soit valorisé par le receveur. Si les entreprises veulent conserver leur « Human centric », elles devront, aussi, pour continuer à se relier au corps social « sacrifier » à court terme du « Goal Centric » sur l’autel de la quête de productivité à tout prix au risque de voir un désengagement qui ne cessera d'augmenter. "Sacrifier" du "Goal Centric", c'est accepter de perdre un peu d'hyper rationalité, de processus,... bref, de prescription pour laisser cours au "travail réel" par et pour les individus.

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