Agilité des entreprises : se renouveler dans le chaos
- David Gateau
- 26 sept. 2023
- 4 min de lecture
Pendant les trente glorieuses l’action entrepreneuriale, même si elle n’était pas simple, était régie par des règles « déterministes » au sens où l’on pouvait assez facilement présumer des conséquences de telle ou telle décision.
De nos jours, entreprises et dirigeants se confrontent quotidiennement à une complexité qui ne cesse de croître, réduisant de façon drastique la prédictibilité des résultats de leurs actions. Appréhender « ce tissage » des différentes composantes d’un système dynamique comme peut l’être une organisation devient le défi à relever, défi que l’on souhaiterait pouvoir convertir en une équation simple afin de prévenir les risques de dérapages de tel ou tel projet stratégique.
La théorie du chaos nous rappelle quelques clés d’attention sur l’évolution d’un système dynamique complexe comme peut l’être une organisation :
Un peu d’histoire et retour en 1961. Edward Lorenz, professeur au MIT, cherche à déterminer des conditions météorologiques futures à partir de données initiales sur son ordinateur. Il constate, par pur hasard, qu'une modification minime des données initiales, de l'ordre de un pour mille, entraîne des résultats totalement différents. Lorenz met alors en évidence l’hypersensibilité aux conditions initiales de phénomènes comme la météorologie et pose ainsi la première caractéristique d’un système complexe chaotique.
Pour mieux faire comprendre l'importance de cette sensibilité aux conditions initiales, Lorenz eut recours à une métaphore qui contribua au succès de la théorie du chaos : "le simple battement d'ailes d'un papillon au Brésil pourrait déclencher une tornade au Texas ". Ainsi une donnée infime, imperceptible, peut aboutir à une situation totalement différente de celle prédite.
La deuxième particularité des systèmes chaotiques observée par Lorenz est l’existence « d’attracteurs étranges » ainsi baptisés en 1975 par le mathématicien Yorke.
En même temps qu’un système chaotique réagit de façon différente en fonction des données initiales, son évolution sera confinée dans un « espace » fixe et
prédéterminé duquel il ne peut sortir. Cet espace est nommé « l’attracteur étrange de Lorenz ».
Dans les systèmes non-chaotiques, les attracteurs étranges existent également : ils représentent par exemple, pour un pendule son état stationnaire vers lequel il va tendre. Pour mieux se saisir de ce concept d’attracteur étrange, regardez certaines périodes de notre histoire : partis de points de départ différents, des groupes humains, sur des continents différents, à des temps différents reproduisent des trajectoires parallèles sensiblement équivalentes.
Alors que peut-on retenir de cette théorie du chaos pour nos systèmes dynamiques que sont les entreprises ?
Appréhender au mieux les conditions initiales. Ce préalable est primordial pour anticiper la trajectoire d’un groupe ou d’une organisation, si l’on admet qu’une petite différence d’appréciation au départ peut conduire à un point bien différent de celui visé. Or, on s’engage bien souvent dans des projets en négligeant ces conditions premières, voire en les ignorant. Beaucoup de projets patinent en sous-estimant par exemple la capacité, la volonté ou la compréhension de la nécessité de changement par les collaborateurs, et les moyens alloués pour les aider à passer ce cap.
Etre en adaptation permanente sur des modifications de conditions initiales est tout aussi important. Entre l’élaboration d’un plan stratégique et sa mise en œuvre au sein d’une entreprise, nous comptons plus modestement en année plutôt qu’en mois. On dit communément qu’un changement de culture d’entreprise ne peut être inférieur à 4 ans. Je laisse à votre propre appréciation ce que représentent 4 ans de mutation à notre époque. Si beaucoup de société essaient de contrecarrer l’Ubérisation de leur secteur en essayant de transformer leur modèle, arriveront ils suffisamment tôt à leur fin avant la prochaine révolution qui les menace certainement déjà ?
Emprunter des méthodes différentes : Pour tenter de sortir de cet attracteur étrange (espace délimité où se retrouvent bloquées beaucoup d’entreprises), il faut oser emprunter des chemins différents, des méthodes inhabituelles et renouveler réellement ce que l’entreprise faisaient auparavant.
A ce titre, les méthodes agiles ou dérivées comme le Design Thinking apportent des voies de travail intéressantes dans l’exploration continue et toujours plus large des besoins d’un écosystème, ou dans les itérations nécessaires sur les différentes phases de travail. Néanmoins, si ces méthodes font leur preuve, il faudra aussi savoir en sortir, car elles standardisent elles-aussi des processus au sein des entreprises les menant directement à une normalité qui constitue un nouvel attracteur étrange.
Agir sur les relations des composantes du système : Les entreprises dites disruptives semblent échapper au modèle d’entreprise « classique » et donc sortir de l’attracteur particulier dans lequel nous pourrions classer 90% des entreprises. Qu’ont-elles changé fondamentalement ? Un positionnement. Que ce soit un positionnement dans la chaine de valeur dans lequel elles évoluent (B&B, OuiCar, …etc) ou un positionnement dans les rapports entre managers & collaborateurs (entreprises libérées par exemple). Ces changements de positionnement sont une refonte de la façon dont sont tissées les interrelations entre les différentes composantes du système. Ils recomposent la complexité de l’écosystème. Par exemple, appelés pour aider au meilleur fonctionnement d’un service, il nous est apparu que ce n’était pas le fonctionnement des personnes entre elles qui posait question mais le positionnement même du service au sein de l’entreprise.
L’agilité des entreprises est certainement là : savoir s’adapter en continu à son écosystème, penser de façon permanente en termes de positionnement des différentes composantes pour créer les conditions d’une trajectoire nouvelle et créer une singularité dans le paysage en échappant à la normalité dans laquelle elles sont impitoyablement attirées. En somme, l’entreprise, pour durer, doit être en capacité de changer de paradigme sur la complexité de sa propre organisation.

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